Il était une fois, comme on dit toujours
© Michelle TROUPIN
Dans une rue aux pavés déhanchés, aux façades ridées, au passant absent, une boutique plus lépreuse qu'un malade du Père Damien
Pas d'éclairage néon rouge et or fluoré moderne.
Pas de vitrine teintée, nuancée, maquillée, si ce n'est d'un coulis de boue noirâtre.
Et pourtant, là, au milieu de nulle part, quelqu'un attend
Une simple boîte, blanche, poussiéreuse, investie d'un pouvoir étrange.
Longtemps, plus longtemps encore que la Belle-au-Bois-dormant, elle a dormi dans la vitrine à la crasse incrustée, mais une boîte ça n'attend pas le Prince Charmant.
Alors qu'est-ce qu'elle attend ? Depuis des mille et des ans, elle poireaute dans la boutique.
C'est l'échoppe d'un vieil herboriste, mi diable mi sorcier, mi génie mi guérisseur.
Il cause avec les herbes, il conférence avec les fleurs...
Pendant des jours et des ans, il a soigné, écouté, apaisé les hommes.
Pendant des jours et des ans, il a mélangé, écrasé, concocté, sélectionné les herbes.
Aujourd'hui son univers est rétréci, il ne lui reste que son lit.
La boutique est solitaire, les herbes baillent d'ennui, se dessèchent sur un matelas de poussière.
Les recettes alchimistes s'enrhument dans des tiroirs oubliés, jamais violés.
Seule intrusion dans cet espace arrêté, Amélie, une vieille du quartier moitié cuisinière, moitié infirmière et le reste du temps bonne-à-tout-faire
Un matin, DING DING, la porte entre et baille, un enfant pénètre la presbytérienne pénombre.
C'est une petite fille du quartier, Mélissa elle se nomme.
Sa mère, c'est la grosse Margot, 110 kilos de graisse gélatineuse, gélifiée, figée.
Au matin, la grosse Margot a lancé à sa fille:
La mère: Mélissa, va chez l'arabe du coin. Prends un kg de pâtes Panzani.
Dis-lui qu'on payera mardi.
S'il n'est pas d'accord, dis-lui de rentrer dans son pays.
Ne t'attarde pas en chemin, il me les faut pour midi.
L'enfant au rêve éveillé dans la rue a tourné de l'autre côté.
Devant la vitrine de l'herboriste, elle s'arrête, s'émerveille ...
La boîte lui fait de l’œil comme un poster, comme une affiche publicitaire.
Dans son esprit d'enfant tout est logique, simple: boîte magique d'herbes féeriques devient dîner économique pour famille famélique.
La voilà rentrant chez elle porteuse du doux paquet, fière comme un héros de série B.
Mélissa : Maman, Maman, regarde comme ça sent bon et je n'ai rien payé.
-Pleurs, cris, enfer, chambre, désespoir, damnation...
Sur le lit insulaire, elle pleure l'incompréhensible univers des adultes.
Plus tard, beaucoup plus tard, lorsque le jour s'est enfui,
lorsque le puits des larmes se tarit,
elle renifle, se mouche dans le drap de lit, prend la boîte magique, soulève le couvercle:
Et voilà que les herbes fleurissent, les recettes s’époussettent, se dégourdissent les pattes,
ça chante, ça bavarde, ça a des humeurs, des envies, ça se prend pour des vedettes de cinéma.
Ça sent bon le thym et la cannelle;
Mélissa rit, Mélissa hume, Mélissa ferme les yeux de bonheur.
C'est aussi beau et aussi bon que le générique du film de Blanche-Neige à la salle paroissiale.
Dans la pièce, une énorme marmite apparaît, avec de l'eau dedans.
L'eau frémit, remue le popotin, fait des bulles plus grosses que les chewing-gums des super-marchés.
Les herbes plongent dans la mixture dans un éclat de rires hawaïens.
Mélissa ouvre les yeux, se dévisage dans la glace ...
D'un simple regard elle grandit, en une seconde elle est devenue femme grande et belle.
Elle ouvre la porte de sa chambre ... plus de mère, de père, de frères, de chat, de chiens, plus personne, plus d'ennuis:
Rien qu'une rue symphonie de bruits, de cris, de vie.
Vite, elle sort, au coin elle tourne ...
L'échoppe du vieil herboriste resplendit comme Brat Pitt un jour de première.
Elle entre dans la boutique. Elle s'assied derrière le comptoir, à côté du tiroir-caisse.
Un monsieur entre, un homme bien mis.
Monsieur: Mademoiselle, je voudrais une demi-livre d'herbes purgatives.
Elle le sert. Il paye, il s'en va.
Et à ce moment-là, comme dans une comédie de boulevard,
en bruit de fond, dans l'arrière-boutique,
on entend les herbes qui caquettent, jouent les coquettes et chantent des opérettes.
Les herbes furent heureuses et eurent beaucoup, beaucoup de petites herbes... comme on dit.
L'univers a torficolisé. Il a basculé sur son derrière et l'histoire est bouscubouclée.